Banderole du souk de Damas:version française
Puisque ce blog se distingue par une affligeante vacuité, c'est sans honte que je poursuis la narration d'inepties en tous genres.
Voilà donc un petit récit des perles vécues lors d'un voyage en Syrie le mois dernier.
Tout d'abord Damas est une ville dont le vieux quartier ravira tout amateur de ruelles, échoppes et coupe-gorges. (Le reste, c'est de la banlieue sauce socialiste avec les immeubles à moitié finis que l'on sait : ils ont le chic pour construire des ruines).
Le souk, absolument magnifique, est truffé de porte-manteaux (burka, avec la grille), de ninjas (hijab, on voit quand même les yeux) et de pingouins (je ne connais pas la traduction exacte, mais avec ce type de voile y'a même pas de grille, les femmes doivent se démerder pour voir à travers leur tissu noir, ce qui fait qu'elles se cognent un peu partout vu qu'en fait elles y voient que dalle.)
Rien à voir avec Beyrouth donc, de la rue Monot et de ses mini-jupes ras la salle de jeu avec vue sur l'arrière cour en prime. Autant la jet-set libanaise prend ce qu'il y a de plus mauvais en Occident, autant la jet-set syrienne... ah ben non, y'a pas de jet-set syrienne, enfin si, mais c'est des militaires.
J'ai trouvé touchant de voir les enfants jouer à Damas : tu leur mets un escalator dans la rue, pour eux c'est Eurodisney.
Je suis allé là-bas avec le fidèle Thomas, syrianophile et ex-gendarme de son état. Le bougre connaît bien son affaire, et nous a dégotté un petit bar chrétien à Babtouma, un des rares endroits où on sert de l'alcool. Vu notre inaptitude à cacher notre francité, surtout dans ces 10m² de débauche et d'impiété, la conversation a été vite engagée avec trois Syriens, au demeurant adorables, dont un parlait un français irréprochable.
C'est là que ça part en vrille, puisque forcément on a commencé à parler politique, enquête Mehlis oblige.
« Nous pensions que la France était un pays ami. Pourquoi Chirac accuse-t-il aujourd'hui injustement la Syrie du meurtre d'Hariri ? »
Faut savoir qu'ici, la liberté de la presse ils connaissent pas. Que la photo de Bashar Al Assad, profession dictateur, est omniprésente. Et que la plupart des mâles portent sa petite moustache, quand c'est pas une barbe dans laquelle on pourrait planquer 3 mois de bouffe ou 5 kilos de TNT.
Et nous voilîmes donc (« voilà » au passé) en train de marcher sur des œufs, embarqués dans une discussion risquée : toute critique du régime est sévèrement réprimée, et la Syrie, comme l'URSS dans ses plus belles années, grouille d'indics à la solde du pouvoir. D'où notre extrême précaution.
Qui ne nous sauva pas d'une balkanisation de la discussion d'ailleurs. Et c'est ainsi qu'on se surprend à découvrir les ressorts intimes de ces théories du complot qu'affectionne tant la rue arabe.
Récapitulatif des scoops de la soirée :
- le 11 septembre 2001 est un attentat judéo-croisé contre les arabes. La preuve, c'est que les 4000 juifs travaillant dans les tours ont été prévenus la veille par email et qu'aucun juif n'est mort ce jour là vu qu'ils ne sont pas allés bosser.
Pour info, cette rumeur a en fait été lancée par Al Manar, la télé du Hezbollah, 10 jours après le drame. Quant au fameux mail, personne ne l'a jamais vu, bien sûr, parce que ces sales juifs l'ont tous effacé. Ils sont hyper solidaires et discrets quand même.
- Al Qaëda n'existe pas. Les attentats en Irak sont organisés par le Mossad (services secrets israéliens) pour justifier l'occupation américaine.
C'est avec force hochements de tête que nous confirmions ces affirmations (parce que "les Occidentaux sont victimes de la désinformation et de la propagande sioniste"). Ils nous ont trouvés super sympas, et ils nous ont même offert la soirée. Il va sans dire que je m'appelais Antoine ce soir là.
Nous sommes rentrés dormir chez une copine, Marie, qui habite dans une sorte de foyer.
Thomas ayant squatté sa chambre, je tentai tant bien que mal de dormir sur les 1m20 du canapé de la cuisine collective où s'invitent rats et cafards, bien que leurs excréments, en nombre sur le simulacre de couverture à ma disposition, me tinrent plus chaud que le poêle à mazout qui, coupé à l'eau, prenait un malin plaisir à s'éteindre.
Vers 4h du mat', Abou Moussa, adorable octogénaire et propriétaire des « lieux », débarque dans la cuisine et sort une bouteille de pinard local : du vinaigre au bon goût de liège qui ne gagnera jamais aucune médaille nulle part vu que même Dédé le Poivrot oserait pas y tremper ses lèvres. Mais c'était un grand moment.
Abou Moussa ne parle pas un mot d'anglais ni de français, mais sa patience lui a permis de me faire comprendre son point de vue sur « la folie des libanais qui veulent s'affranchir de la tutelle syrienne » : d'après lui, bi loubnan, fi majnin bas (« au Liban, y'a que des tarés »).
J'ai appris plus en une heure qu'en 2 ans à Sciences Po, c'est pourquoi je vais partir un mois chez lui pour prendre des cours de langue intensifs et m'immerger dans cette culture arabe si fascinante et déroutante à la fois.